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Texte de Mathieu Bock-Coté
Confession matinale. Je suis assez fasciné par ceux qui sont pris de convulsions rageuses devant les indépendantistes et qui les insultent dès qu’ils en trouvent un, sans être capables de s'arrêter. Le phénomène est visible sur les réseaux sociaux. Ils lisent un indépendantiste? Tout de suite viennent les insultes. Parmi celles-là, «pelleteux de nuages» et «socialistes»!
On leur demande alors: certes, mais pourquoi dites-vous cela? Avez-vous quelques raisons pour justifier votre aversion? On peut ne pas aimer un projet politique. Normalement, on essaie de savoir pourquoi et on prend la peine de l’expliquer au moment de cracher publiquement son venin.
Hélas, la réponse est souvent autre. «Pas de temps à perdre avec ces «épais là». D'accord. L’autre réponse ? «Ils veulent nous mettre dans le trou». Certes. Les indépendantistes veulent le mal du Québec. Je n’y avais pas pensé. Pour eux, le péquiste est un être malfaisant.
Une autre réponse: les indépendantistes sont des spécialistes du blablabla. L’anti-intellectualisme primaire hérité des pages les moins belles de notre histoire a laissé des traces sur notre culture (ni la droite, ni la gauche, n’en ont le monopole). On le voit aussi à l'oeuvre lorsqu'on se méfie de ceux qui maîtrisent bien la langue française. On les soupçonne alors d'être Français. Comme si le fait de bien parler révélait une désaffiliation de la condition québécoise.
Surtout, on a souvent tendance à voir comme du blablabla les discours que nous ne comprenons pas, peut-être par manque d’outillage culturel, peut-être aussi parce qu’un discours articulé vient heurter une sensibilité politique reformaté par les médias sociaux, où le simplisme militant est devenu la norme. Ce qui ne se laisse pas lire en trois minutes devient un insupportable bavardage théoricien.
Sincèrement, je peux comprendre qu'on s'oppose à la souveraineté. Claude Ryan était un intellectuel tout à fait honorable. Il n'était pas souverainiste. Robert Bourassa, malgré tout ce qu'on peut lui reprocher, a cherché à bien servir le Québec. Il n'était pas souverainiste. Le fédéralisme peut être raisonnable et l’est souvent.
On peut croire que le Québec n’a pas les moyens d’une indépendance par ailleurs souhaitable. On peut croire que l’indépendance n’est pas souhaitable et que le fédéralisme sert mieux le Québec. On peut être indifférent à la question nationale et croire que le Québec devrait s’occuper d’autre chose.
Mais l'antisouverainisme viscéral (je ne parle pas du fédéralisme mais bien de l'antinationalisme primaire) relève d’une autre logique. Il prend la forme d'une aversion devant tout ce qui ressemble à un discours indépendantiste articulé. L’idée que le souverainisme n’est en lui-même pas respectable me laisse croire que nous sommes devant une passion culturelle négative qui touche à une zone d’ombre de notre histoire.
Car à ce que j’en sais, l’aspiration à l’indépendance a irrigué l’histoire du Québec depuis très longtemps. On peut ne pas l’endosser. Est-il nécessaire pour autant de la vomir? Ne révèle-t-elle pas au moins partiellement le désir d’une grandeur québécoise? Un désir d’épanouissement collectif, d’affranchissement national? Une volonté de donner aux Québécois un pays qui leur appartienne vraiment, où ils ne seraient plus une minorité soumise à des institutions qu'ils se sont fait imposer. L’idée que le Québec devienne maître de son destin mérite-t-elle vraiment les crachats?
J'ai tendance à voir dans cet antinationalisme viscéral l’expression d'un vieux complexe culturel canadien-français, une forme de mépris de soi. Longtemps, il a pris la forme d’un loyalisme exagéré envers tous les signes de notre subordination politique. Il n'a pas manqué, pendant longtemps, au Québec, d'admirateurs inconditionnels de la couronne anglaise. Ils étaient nombreux à faire de leur antinationalisme une marque de fierté et parlaient de la Conquête providentielle qui nous aurait amené la démocratie. Aujourd'hui, on veut ainsi bilinguiser le Québec de force. Le français est une coquetterie pour les «de souche». L'avenir sera anglophone. Aussi bien s'y convertir pour en finir avec notre situation périphérique en Amérique, non ?
Cette haine de soi se retourne souvent aujourd’hui en admiration inconditionnelle pour le Canada anglais conservateur ou pour l'Amérique. Nous serions les perdants de l'Amérique, les anglophones seraient les gagnants. Il y a peut-être aussi là une forme d'admiration pour le plus fort, un désir de se sentir comme lui. On admire l’autre d’autant plus qu’on ne s’aime pas vraiment.
Il est possible aussi que la crise actuelle de l’idée d’indépendance (le projet souverainiste ne va pas très bien, manifestement) fasse ressortir de vieux complexes identitaires, d’autant plus violemment qu’ils avaient été refoulés à la périphérie de l’espace public pendant un demi-siècle. On ne veut plus seulement empêcher l'indépendance. On veut empêcher les souverainistes de se relever un jour. On veut en finir avec eux. Pour de bon. On ne veut plus de la carte de l'indépendance dans notre jeu politique. Les grands fédéralistes ont pourtant toujours tenu à conserver cette carte. Ils savaient que peut-être un jour, nous en aurions besoin.
De cette manière, ne cherche-t-on pas à en finir aussi avec le Québec ? N'est-ce pas avec une appartenance québécoise vécue comme un fardeau qu'on veut en finir lorsqu'on veut liquider pour de bon le vieux rêve de l'indépendance. Dans tous les cas, ce n’est pas édifiant.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »
Anaxagore de Clazomène...repris par Antoine Lavoisier
Tout ce que vous pouvez imaginer, la nature l'a déjà créé. Einstein
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